Articles parus dans le magazine régional « Seine Magazine » en juillet et septembre 1979

 

 

De Radio Fécamp à Radio Normandie

 

Sans doute vous est‑il arrivé d'emprunter la route qui va de Caudebec à Yvetot. A mi-chemin entre ces deux villes, en bordure de la route, entourée de fossés, s'élève une curieuse bâtisse. Il n'y a pas si longtemps on y voyait de très loin un pylône blanc et rouge s'élancer vers le ciel. Cette propriété de Louvetot, avec ses bâtiments, constitue en 1979 les seuls vestiges visibles de ce que fut Radio Normandie. Heureusement beaucoup de cauchois se souviennent, beaucoup de fécampois également, puisque Radio Normandie s'est d'abord appelée Radio‑Fécamp.

 

Cette grande radio, qui était écoutée régulièrement par les Normands bien sûr, mais aussi par les Parisiens et les Londoniens, cette grande radio qui rayonnait dans toute l'Europe, a véritablement marqué toute une époque. Aujourd'hui, en 79, alors que l'identité régionale est de plus en plus recherchée et retrouvée, alors que l'Audiovisuel et la Technique nous réservent sous peu de nouveaux moyens de communication, à un moment où les radios régionales refont surface concrètement ou sous forme de projets, paradoxalement Radio Normandie, quarante ans après sa «mort», reste méconnue de certains Normands. Grâce aux témoignages d'anciens auditeurs et d'un ancien speaker, voici la première partie d'une évocation, d'un hommage à Radio Normandie, la radio des pionniers.

 

 

EF81C : LA RADIO DES PIONNIERS

L'année dernière plus de 120 000 personnes se sont rendues rue Théogène Bouffart à Fécamp pour visiter le musée de la «Bénédictine». On peut se demander combien d'entre elles savaient qu'à deux pas de là, dans une maison voisine, une formidable aventure était née voici cinquante ans, la fabuleuse aventure de Radio Normandie. D'emblée, on peut parler d'aventure, car s'intéresser, se passionner pour la radio en 1924, c'était partir à la découverte d'une technique qui en n'était qu'à ses balbutiements. Pour croire dans les années vingt, à l'avenir de la radio, il fallait avoir l'esprit d'un aventurier. Fernand Le Grand a été à sa façon cet aventurier, ce précurseur génial. Sa passion de la radio, il la tenait, et c'est là l'aspect le plus extraordinaire de l'histoire de Radio Normandie, d'un des inventeurs de la radio : Edouard Branly. Les deux hommes étaient amis. M. Le Grand avait accès au laboratoire de Branly «à toute heure du jour et de la nuit»,

 

Une fois démobilisé, après la guerre de 1914, Fernand Le Grand de retour à Fécamp, se met à faire de la radio, chez lui, rue Georges Cuvier. A cette époque-là, faire de la radio était l'apanage de quelques initiés, des initiés fortunés qui avaient les moyens de s'équiper en matériel fort coûteux et fort encombrant. Très vite M. Le Grand communique sa passion à plusieurs de ses amis. Un petit noyau de sans-filistes se crée pour échanger les tours de main, se prêter du matériel, acheter à plusieurs des lampes, des pièces détachées. Le premier janvier 1924, naît officiellement le Radio Club de Fécamp fort de dix-huit membres. Ce club deviendra par la suite l'Association des Auditeurs de Radio Normandie qui, en 1938, comptera 32 000 membres ! Le but de ce club était «d'unir les amateurs de T.S.F., les guider dans le choix des appareils» mais surtout les «initier aux mystères de cette science nouvelle».

 

Deux ans plus tard, en 1926, le club connaît une crise grave : les membres ne viennent plus aux réunions. Ils préfèrent rester chez eux pour capter les rares émissions radio venant de Paris ou de l'étranger, sur des postes récepteurs prêtés par le club. Fernand Le Grand a une idée géniale : construire un poste émetteur couvrant l'étendue de Fécamp pour toucher les adhérents chez eux. «C'est par la T.S.F. que nous resterons unis» déclare‑t‑il. Peu de temps après le radio‑club s'équipe d'un émetteur d'une portée de trois kilomètres. Il s'agit d'un poste amateur dont la demande est faite à l'administration des PTT. Nos dix-huit sans-filistes deviennent des radio amateurs c'est-à-dire ont l'autorisation d'émettre uniquement des émissions à caractère technique. Pas question de diffuser de la musique ou des informations. L'administration des PTT leur donne l'indicatif suivant EF81C. Mais le 18 novembre le radio-club encouragé par les premiers résultats d'écoute décide de devenir Radio Fécamp et de faire de la radiodiffusion.

 

Les premières émissions régulières, réalisées bénévolement, débutent à midi. C'est la sirène de la Bénédictine toute proche qui sert d'indicatif. Les premières émissions musicales sont diffusées à l'aide de disques. Mais les premières difficultés apparaissent : les dépenses sont importantes, certains membres contestent le statut pirate de la station, le bénévolat s'essouffle. Que devait dire à l'époque, Madame Le Grand en voyant sa maison transformée en laboratoire. A ce moment difficile, la personnalité de Fernand ­Le Grand est capitale, il se donne an pour faire de Radio‑Fécamp une véritable radio professionnelle. Il faut bien admettre que sans sa fortune personnelle, sans ses revenus de l'usine de la Bénédictine, l'entreprise de Radio Normandie n'aurait jamais pu voir le jour. L'année 1927 consolide tous les espoirs et en 1928 grâce à un nouvel émetteur, Radio‑Fécamp rayonne sur 100 kilomètres. Des auditeurs de Dieppe, du Havre, de Rouen écrivent pour manifester leur sympathie et encourager la première radio normande Radio‑Fécamp.

 

L'année décisive, l'année où tous les efforts des bénévoles allaient se concrétiser, fut l'année 1929. Le 18 février, le gouvernement reconnaît officiellement l'existence de 12 stations de radios privées. Parmi elles : Radio‑Fécamp. Durant l'été, la station déménage sur la colline ouest de la ville, dans la villa «Vincelli la Grandière» près de laquelle sont plantés deux pylônes de cinquante mètres servant de support à l'antenne. Les émissions sont captées dans toute la Normandie. A la fin de l'année, la société anonyme des Emissions Radio Normandie est constituée. Radio‑Fécamp devient Radio Normandie. Parallèlement, la T.S.F. se répand dans le grand public. Un vieux fécampois, M. Lemarchand se souvient plus de quarante ans après, de cet engouement. Il était un pionnier de Radio Normandie, mais de l'autre côté, du côté réception. Dans son magasin de l'époque, il vendait les premiers disques et les postes de T.S.F. C'est lui qui vendait à Radio Normandie les disques qui servaient aux programmes musicaux. «Je vendais toujours les disques en double car la durée de chaque face était trop brève pour écouter une oeuvre en entier. Alors ils enchaînaient la face numéro 1 avec la face numéro 2 pour ne pas couper au milieu. Il n'y avait pas de magnétophone comme maintenant. Tous les enregistrements étaient faits sur disques.» Pour tous ceux qui ont toujours connu la radio et la télévision, ceux de la «génération Marconi», de tels propos ont de quoi étonner. Comment pouvait-on se passionner pour cette «mécanique» encombrante, de cette sonorité nasillarde ? A l'ère de la Haute Fidélité, ça fait un peu rêver !

 

Dans les villages, lorsque le premier poste de T.S.F. arrivait, c'était une petite révolution. A Limésy, une épicière se souvient : « Je devais avoir cinq ou six ans quand notre voisin acheta une TSF. Je vous assure qu'on était bien une quinzaine de gamins à attendre l'arrivée du camion qui allait la livrer. Ce fut un meuble énorme avec des boutons et des cadrans. Pour nous c'était magique. Pendant plusieurs mois nous venions chez le voisin écouter les émissions. On arrivait, et puis on demandait poliment le droit d'entendre la «téçé». On n'arrivait pas à prononcer le mot !» On imagine mal la fascination qu'a dû exercer la radio sur les enfants à cette époque. Tout le jeudi leur était consacré sur Radio Normandie. Tante Francine, la première «speakerine» de France animait les émissions enfantines. Un fécampois se souvient : «A l'époque mes parents habitaient à la campagne. Je n'étais jamais allé à Fécamp. Croyez-moi, c'était fabuleux d'entendre des gens vous parier, des gens que l'on ne connaissait pas. Il y avait des jeux auxquels il fallait répondre. Je me souviens parfaitement qu'à l'époque je rêvais d'avoir un jeu de Meccano. Mon père ne pouvait me l'offrir et cela me faisait de la peine. Un jeudi, Tante Francine organisa un jeu radiophonique où il fallait répondre par le courrier. J'ai essayé d'y répondre naturellement. Et bien je vous garantis que je me souviendrai toute ma vie du jour où le facteur apporta à la maison un énorme paquet à mon nom, c'était un Meccano, avec une lettre manuscrite de Tante Francine qui me félicitait. Il y avait aussi sa photo. »

 

Des postes de T.S.F., M. Lemarchand en a vendu beaucoup. Un poste coûtait entre 2 000 et 3 000 francs, ce qui correspond à deux ou trois mois de salaire ! Mais les gens utilisaient tous les moyens pour écouter le «poste normand». Ce fut la grande époque de la galène. Le poste à galène comprenait des écouteurs, une antenne, une prise de terre et cristal, la galène. Ecouter la radio sur une «galène» relevait de l'exploit. Il était très difficile de régler la réception sur le poste désiré. L'écoute était pénible, la qualité discutable. M. Lemarchand a même connu pire que la galène : «Je crois qu'il y avait des clients qui arrivaient à recevoir avec une pomme de terre. Au lieu de prendre une galène, ils prenaient une pomme de terre, il paraît que ça marchait.» Ce témoignage illustre bien l'engouement du grand public pour la radio. Les progrès techniques aidant, Radio Normandie s'équipe d'appareils de meilleure qualité. Le 26 septembre 1930, l'auditorium (entendez par-là le studio) du Havre est inauguré. Relié par ligne téléphonique à Fécamp, il permet les premières émissions en direct d'une autre ville. En 1931, pour les fêtes Jeanne d'Arc, le studio de Rouen est installé. A cette occasion, le micro de Radio Normandie se trouve sur la place du Vieux Marché, à l'Hôtel de Ville, dans les tours de la cathédrale. Le camion émetteur ‑ déjà ! ‑ faisait son apparition à chaque événement important de la région pour exprimer à l'antenne l'ambiance locale. Toujours en 31 a lieu la première émission en direct de Paris à l'occasion de la soirée des Normands de Paris. Le 15 novembre, Le Tréport, Eu et Mers disposent d'un studio commun. En 32, suivent ceux de Caen et Deauville-Trouville. Chacun des studios donnait la couleur locale spécifique au Havre, à Caen, à Rouen, en intervenant à l'antenne. La mosaïque de studios s'étend en 1933 à Boulogne, Calais, St Valéry‑sur‑Somme, Berk, autant de villes qui suivent les émissions depuis la mise en service d'un nouvel émetteur et de nouveaux pylônes de 100 mètres, à Fécamp. Grâce à ces nouvelles installations, Radio Normandie est très écoutée au-delà des frontières normandes. En Angleterre par exemple. Aussi l'après-midi, des émissions en langue anglaise sont diffusées. Les radios anglaises n'avaient pas le droit de diffuser de la publicité. Radio Normandie, au risque d'incidents diplomatiques, accepta les propositions de commandites anglais. Quel changement en si peu d'années ! Depuis le petit poste de rien du tout, d'amateur, du début, les progrès sont considérables ! Des personnages de radio deviennent célèbres, bien plus que les animateurs des grandes chaînes nationales d'aujourd'hui. On leur écrit, on leur demande conseil. Une émission très populaire est celle des «Disques Demandés». Un cauchois dont le nom était cité à la radio pour avoir demandé tel ou tel succès à la mode, s'assurait l'admiration et la considération de ses concitoyens à l'écoute. Fernand Le Grand ne voulut pas s'arrêter là. Son vieux rêve d'adolescent n'était pas tout à fait réalisé. Son projet grandiose, il le révélera dans la revue hebdomadaire sortie en 1934 : «Le Sans Filiste de Normandie». Le rêve de Fernand Le Grand, c'est une véritable station de radio de dimension nationale. Concrètement, c'est transférer le studio principal de Fécamp à Caudebec, et de bâtir un centre émetteur ultra moderne sur l'un des points culminants du Pays de Caux : Louvetot. En 1935, l'autorisation est donnée. 3 hectares sont achetés en pleine campagne, et le 28 novembre la première pierre de l'édifice de Louvetot est posée.

 

Le style architectural de l'émetteur de Louvetot est un modèle du genre. Tout est calculé, pensé pour la technique d'émission. Le bassin sert au refroidissement des lampes. La bâtisse, construite en béton armé et en briques, est splendide. La terre venant des fondations a été disposée autour du parc pour conserver le style des fossés cauchois.

 

Louvetot sera l'apothéose de Radio Normandie. Grâce à cet émetteur puissant, la Normandie rayonnera sur toute l'Europe. M. Lemaître, le frère de tante Francine se souvient : «Toute l'Angleterre l'écoutait, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse et le Luxembourg bien sûr, parfois plus loin comme un rapport d'écoute venant de Boston en Amérique le confirma. On a même dit qu'on l'avait captée au Japon.» Dans la deuxième partie de cette évocation, nous découvrirons l'apogée de Radio Normandie, ce qu'elle est devenue et les tentatives et projets actuels de radios normandes. Radio Normandie c'est l'œuvre d'un homme Fernand Le Grand, et d'un groupe d'aventuriers, des pionniers. «C'était un grand bonhomme, un homme qui osait» nous dit aujourd'hui M. Lemaître qui l'a bien connu. Cette épopée a marqué toute une époque mais il ne reste pratiquement que des souvenirs. Aussi si vous passez par Louvetot, n'hésitez pas à vous arrêter pour découvrir les seuls vestiges de cette radio. La propriété appartient maintenant à un pasteur protestant qui l'a rachetée pour y accueillir des enfants handicapés.

 

A SUIVRE

 

Comment une radio libre en 1935, RADIO NORMANDIE peut devenir en 1979 un exemple pour les partisans de la fin du monopole sur l'information radiophonique ou la parole un jour, rendue aux régions

 

par Richard Plumet

 

Voici la deuxième partie d'une évocation de Radio Nordie, dont le premier volet était intitulé « De Radio Fécamp à Radio Normandie». En 1939, le Poste Normand devait s'éteindre définitivement, et ce fut la dernière fois qu'on put entendre son indicatif «Ma Normandie». Pour ce quarantième anniversaire de silence, il était juste de rappeler ce que fut cette époque heureuse des radios régionales. Curieusement, bien peu de Normands savent qu'il existait une radio internationale dans le Pays de Caux, et le hasard a fait que l'actualité, en cet automne 79, c'est aussi la radio régionale. Deux raisons de rendre hommage à Radio Normandie et de voir ce que devient l'expression régionale à un moment où apparaissent de nouveaux moyens de communication.

 

 

L'APOGÉE DE RADIO NORMANDIE

En 1935, écouter Radio Normandie, c'est écouter une radio de dimension nationale. Les émissions étaient cependant réalisées en Normandie: au studio principal de Fécamp ou bien depuis ceux de Deauville‑Trouville, du Tréport, du Havre, de Caen de Rouen ou de Dieppe. Les micros savaient déjà aller au devant de l'actualité grâce à un camion de reportage. Le direct fit ainsi son entrée dans le monde du football. Cette année‑là, lorsque l'Anglais moyen ouvrait son quotidien, il trouvait une grille de programmes : celle de « Radio Normandy». Ces programmes, très écoutés Outre-manche, étaient diffusés l'après-midi et le dimanche. 1935 sera l'année où Fernand Le Grand, le père de Radio Normandie, obtiendra l'autorisation de bâtir le centre émetteur de Louvetot qui va permettre l'écoute de la station dans toute l'Europe. En effet, jusqu'à la mise en service de ces installations ultra‑modernes, en 38, la radio normande est prisonnier e de ses équipements fécampois.

 

Les travaux du centre de Louvetot, qui débutent le 28 novembre 1935, vont se poursuivre sans relâche jusqu'en 1938, année de l'inauguration, F. Le Grand sait que le transfert de Fécamp à Caudebec est indispensable pour se maintenir honorablement devant la concurrence parisienne. De plus en plus d'artistes se produisent en direct dans les studios et se plaignent de l'éloignement de Paris. F. Le Grand est conscient de ce handicap. En plus du centre de Louvetot, on a prévu l'installation d'un studio à Caudebec, en bordure de Seine. F. Le Grand justifie ce choix: «Pour répondre aux nouvelles exigences des vedettes, nous devons nous rapprocher de la capitale. Caudebec, me direz‑vous, se trouve loin du chemin de fer. C'est vrai, mais nous avons le calme nécessaire à de bonnes émissions. Et puis, vous verrez, dans quelques années, grâce aux nouveaux moyens de transport, nos invités arriveront directement de Paris dans des hydravions qui se poseront sur la Seine. »

 

1938. On inaugure l'émetteur de Louvetot émetteur ultramoderne qui ne s'éteindra qu'1974. Un an plus tard, il est réquisitionné par les services de propagande nazie, puis, 6 ans après, par l'Etat français. Un câble de 6 km. relie le pylône de 170 m. aux studios caudebécais. Durant un an, c'est l'apothéose, la consécration de tous les projets. L'une des plus importantes radios européennes est normande. De longs programmes, variés, populaires et très écoutés, voilà Radio Normandie. Toute la Normandie était pendue à son poste régional. Et si l'information était parisienne, Radio Normandie allait placer ses micros à Paris, sans jamais faire de «parisianisme».

 

Le studio de Caudebec reçut la plupart des artistes en vogue à Paris : Philip Martell et l'orchestre de Bisto, les duettistes Bach et Laverne. Les trompettes des Collégiens d'un certain Ray Ventura ont fait vibrer plus d'une fois les membranes des haut-parleurs. On innovait. Le premier feuilleton radiophonique est né à Radio Normandie, ainsi que le Journal parlé. Les nouvelles régionales étaient commentées en direct de Rouen, suivit la diffusion en direct, toujours, des informations nationales depuis la salle de rédaction du journal Paris‑Soir.

 

Dès la fin 38, la situation politique se dégrade et F.Legrand craint une nationalisation de son poste. Aussi envisage‑t‑il, et c'est un point méconnu dé l'histoire de la radio en France, d'établir un nouvel émetteur à l'étranger: les Îles Anglo‑Normandes. Cet émetteur relié à la France par câble sous-marin, diffuse des émissions réalisées depuis les studios français. Studios en France et émetteurs à l'étranger… voici la définition d'une radio périphérique comme il en existe de nos jours (RTL, Europe 1, Radio Andorre, Radio Monte Carlo, et Sud Radio). A quelques mois près, Radio Normandie serait devenue la première radio périphérique française.

 

1929‑1939, dix années d'existence pour Radio Normandie, dont la carrière se trouve brutalement interrompue par la réquisition des ondes lors de l'occupation allemande. Les propriétaires des radios privées, lésés, attendent la libération pour relancer leur radio sur de nouvelles bases. Pour la plupart, les radios privées d'avant-guerre, comme Radio‑Normandie, sont l'œuvre de passionnés qui ont engagé toute leur vie et toute leur fortune dans la grande aventure radiophonique, et qui espèrent retrouver leurs studios, leurs camions, leurs micros, leurs antennes dans une France libérée.

 

 

RADIO NORMANDIE, NATIONALISÉE

Hélas, 1945 ne libérera qu'en partie les ondes françaises car un monopole de Radiodiffusion a été instauré. L'État propriétaire des ondes, est seul autorisé à permettre des communications audio‑visuelles. Le glas sonne pour les radios privées, anéantissant bien des espoirs. Ce monopole, encore en vigueur aujourd'hui, rend illégal dans les faits, les appels de phares entre automobilistes, les signaux quelconques entre personnes éloignées et à plus forte raison, les émissions de radio. Radio Cité, Radio Béziers, Radio Normandie, désormais radios pirates, se voient nationaliser leurs installations et ce, sans indemnisation aucune. On imagine sans peine le désespoir et l'écœurement que durent ressentir des gens comme F. Le Grand.

 

F.Legrand décède peu après la guerre. L'émetteur de Louvetot est utilisé comme relais des programmes nationaux. Désormais, il faut écouter Paris pour les auditeurs, il faut «monter à Paris» pour les artistes régionaux. Au début des années 60, naît la télévision régionale: 20 minutes d'antenne. A la même époque, l'ORTF tente à Rouen la diffusion d'un journal radiophonique parlé, par l'émetteur de Louvetot. Les «décrochages» cessent un an plus tard.

 

1974. L'ORTF éclate en 7 sociétés. FR 3 devient la chaîne régionale, TDF, la société chargée de gérer les émetteurs et de diffuser les programmes. L'émetteur de Louvetot n'assure plus de relais, mais reste branché. En effet, si on coupait la tension, il deviendrait inutilisable. Pourquoi le conserver alors? Un responsable de TDF Haute Normandie confie officieusement qu'un vague projet de radio régionale pourrait utiliser la longueur d'onde. Bonne idée, mais qui restera malheureusement dans un tiroir, puisqu'en 1976, la station est livrée aux ferrailleurs. Le pylône est abattu, les lampes d'émission cassées. Le pasteur qui a racheté les locaux pour y accueillir des enfants handicapés témoigne : «J'étais présent quand ils ont démonté. Je savais en achetant cette bâtisse quelle était son histoire, aussi, je tenais à conserver quelques souvenirs comme des lampes provenant des armoires techniques. Des lampes gigantesques : 60 cm de haut. Nous avions caché deux de ces lampes. Le lendemain nous avons vu les ouvriers les briser pour en prendre le cuivre».

 

 

EN 1980 : LA PAROLE RENDUE A LA HAUTE NORMANDIE

En janvier 1978, naît FR 3 Radio Normandie, sur les 5 départements normands en modulation de fréquence, depuis un studio installé dans la cale d'un chaland : « Radio‑Péniche » 3 h d'antenne, de 9 h à 12 h, des programmes, des studios mais pas d'émetteur. Pour être entendu, FR 3 Radio Normandie utilise les ré‑émetteurs modulation de fréquence de France Inter situés en Normandie. Pour l'anecdote, sachez que les émissions de radio n'étaient pas captées à Fécamp. Conséquence: FR 3 Radio Normandie diffusait partout, sauf dans là ville natale de son illustre ancêtre. La situation fut rapidement améliorée grâce à la construction d'un ré‑émetteur local.

 

Depuis 40 ans, la situation de la Radio n'a pas bougé d'un pouce en France car à l'étranger, les radios régionales et même locales ont vu le jour. Ce n'est que maintenant en 79, que la situation semble pouvoir évoluer. L'exemple de Radio Normandie ne peut laisser indifférents les partisans de nouvelles radios quels qu'ils soient, politisés, mercantiles ou passionnés. De toute façon, l'avenir radiophonique français passera par un débat à l'Assemblée qui débouchera ou non sur une nouvelle législation. Pour l'heure, les régions attendent toujours les moyens d'expression modernes, ceux de l'Audiovisuel. Une expérience a été tentée par FR 3 avec 17 ballons d'essai ‑17 radios régionales. Il est temps maintenant de révéler le résultat des analyses.

 

Richard Plumet (Seine Magazine 1979)