LES PREMIERS JOURS DE RADIO NORMANDY
De nos jours, entendre de la publicité à la radio semble tout
à fait normal. Cependant, au cours des années 20, la
publicité est interdite en Angleterre. Peut-être pensez-vous que
les premières annonces publicitaires ont été faites par
les radios pirates de la mer du Nord. Non, en fait, la primauté en
revient à l’IBC – l’International Broadcasting Company
et à son créateur le Capitaine Leonard PLUGGE (1889-1981). Savant
britannique, politicien et inventeur du radio-téléphone de
voiture, Plugge est aussi le premier à démarrer une station de
radio pirate, Radio Normandy, dans les années 30.
On
connaît peu de choses de la vie du Captain Leonardo F. Plugge,
excepté le fait qu’il a été ingénieur-conseil
du Métro londonien et aussi représentant et vendeur de
récepteurs Philco. Il a « inventé »
également des lunettes spéciales pour regarder la
télévision et il a pris une part dans la recherche scientifique
avec la Royal Air
Force. Il est ancien pilote de chasse pendant la première guerre
mondiale. Plugge est député conservateur de Rochester, au sud de
Londres avant d’être celui de Colchester en 1935.
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Apparemment, cet homme excentrique comprend
l’importance de la radio commerciale et prend tout de suite conscience de l’existence
d’un marché potentiel, qui le mène à la fondation
de l’IBC - International Broadcasting Company. La première
émission commerciale destinée à l’Angleterre a
lieu en 1925 avec l’initiative du Capitaine qui persuade Selfridges's – un grand
magasin londonien - de patronner un débat de 15 minutes sur la mode.
Cette émission vers l’Angleterre est émise depuis un
studio sur la Tour Eiffel.
Seuls, trois auditeurs déclarent avoir entendu l’émission
non annoncée au préalable, d’où le faible retentissement.
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L’année suivante, Plugge parcourt l’Europe avec un
véhicule équipé d’un tout premier autoradio de
marque Philco. Il remarque que la publicité est autorisée partout
où il passe. Ses balades à travers l’Europe lui donnent
l’idée de contourner le monopole de la BBC sur les ondes du Royaume
Uni. Le gouvernement britannique pense que la publicité
représente un puissant moyen de s’enrichir, mais que la radio
commerciale n’est qu’une forme de corruption de la morale publique.
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En 1930, le Capitaine fait une autre virée sur
le continent et il vient à s’arrêter dans le petit port de
pêche normand de Fécamp, qui approvisionne toute la France en morue
salée et qui est aussi le seul endroit au monde où l’on
distille la très populaire Bénédictine. Dans une
conversation, Plugge comprend qu’un des plus jeunes directeurs de la
Bénédictine, M. Fernand Le Grand, (photo
à gauche) est un vif passionné de radio amateurisme et
possède un émetteur qu’il fait fonctionner dans son
salon.
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Il
s’amuse ainsi à faire de la radio pour ses amis du Havre (à
20 km)
et il a pu vendre ainsi une paire de chaussures à l’un de ses amis
grâce à la radio. Le Capitaine et M. Le Grand se rencontrent
devant une bouteille de Bénédictine, dans le salon avec
l’émetteur et commencent à discuter. Ils arrivent à
un accord. M. Le Grand autorise le Capitaine Plugge à utiliser
l’émetteur pour émettre en anglais à certaines
heures du jour, à raison de 200 francs par heure (2 euros
d’aujourd’hui). Puis, Plugge part pour le Havre à la recherche
de disques gramophones anglais.
Tout
excité, Plugge retourne à Londres et en mars de cette même
année, forme l’IBC avec des bureaux au 11 Hallam Street, à
proximité de l’immeuble actuel de la
BBC. Il commence à produire des
programmes en langue anglaise destinés à être émis
par des stations de radios européennes.
L’année suivante, Fernand
est invité à Londres pour rencontrer l’état-major de
l’IBC. En repartant pour Fécamp, il promet de faire un essai
d’émission dans la nuit du 29 juin 1931 de façon à
tester la qualité de la réception en Angleterre. Le résultat
est concluant. Le 11 octobre, le premier programme enregistré à
Londres par l’IBC est diffusé : un concert spécial
pour les auditeurs britanniques. En novembre, « Radio
Normandy » émet son programme régulier,
patronné par Philco.
Le Capitaine Plugge contacte plusieurs
journaux dans l’espoir de les intéresser à son entreprise.
Un seul d’entre eux répond (Le Sunday Referee) qui publie le
dimanche suivant la grille détaillée des programmes transmis
depuis « Normandy », les horaires et la longueur
d’onde de la station. L’audience commence à croître en
quelques semaines. Les 500 watts de l’émetteur de salon sont vite
devenus les 5 kW de « Radio Normandy », la
première station commerciale régulière en langue anglaise
vendant des produits britanniques à des auditeurs britanniques. Avec ce
succès, le journal démarre l’« International
Broadcasting Club » où chacun peut adhérer en
échange de quelques timbres. En moins de trois semaines, 50 000
inscriptions arrivent au Sunday Referee et en moins de trois mois, plus de
250 000 membres ont rejoint le club.
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Cela fait deux ans que le Capitaine Plugge a
démarré la publicité commerciale au démarrage des
programmes anglais de « Radio Luxembourg ». Durant la
guerre, « Radio Luxembourg » est utilisée comme
station de propagande par les occupants nazis. En 1944, les forces
américaines libèrent la station et réduisent au silence
« Lord Haw-Haw » (alias William Joyce), la voix de
l’infamie. Le traître sera pendu pour ses actes peu après.
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En
1932, Leonard Plugge a mis en place l’IBC qui émet
régulièrement chaque soir ses programmes patronnés depuis
de nombreux pays (Belgique, Espagne, Italie, Allemagne, Suisse et Luxembourg).
Plugge sait que la nuit les ondes moyennes se propagent beaucoup plus loin.
Ainsi, il établit un réseau de stations à travers le
continent pour émettre ses programmes créés au nez et
à la barbe de la BBC
à Londres.
Le dimanche, lorsque la BBC
est focalisée sur ses programmes religieux, on dit que
« Radio Normandy » recueille 80 % de l’audience
britannique. En comparaison, les programmes sont vivants et drôles, tous
financés par la publicité, Philco est l’un des premiers
annonceurs. Henleys lance avec succès son automobile SS1. Ceci prouve
aux sceptiques que la publicité radiophonique fonctionne
réellement. Henleys est devenu depuis le constructeur des fameuses
Jaguar. Roy Plomley et Bob Danvers-Walker sont des voix entendues sur
« Radio Normandy » à la fin des années 30
de même que celle de Gracie Fields dans certaines publicités.
La
production d’émissions patronnées nécessite
l’implication totale de nombreuses agences publicitaires. La plupart des
programmes sont enregistrés en Angleterre sur des disques 78 tours (30 cm) adressés aux
stations continentales. Dans ces programmes, le message du client annonceur est
inséré intégralement dans le déroulement de
l’émission, ce qui signifie pour l’agence de
publicité de devenir aussi bien, expert en technique radio
qu’expert en publicité. D’ailleurs, l’IBC offre aux
agences et aux annonceurs, toutes les facilités, comme la location de
studios sophistiqués pour les aider.
En
1934, devant l’interdiction de la presse de publier ses programmes,
l’IBC décide de sortir son propre magazine « Radio
Pictorial ». A partir de cet instant, la plupart des gros annonceurs
achètent de l’espace aussi bien dans le journal que sur les ondes.
Par exemple, le quotidien Horlicks Time Hour qui émet en semaine sur
« Radio Luxembourg » et le dimanche sur
« Radio Normandy » de 16 h à 17 h, a une demi page
de bande dessinée…
Le
Capitaine Plugge est un « commerçant avide » et le terme
« plug » (brancher) est fait pour lui à la hauteur
de son succès au milieu des années 30. Les programmes IBC peuvent
être entendus la nuit sur la totalité du cadran en provenance de
Madrid, Valencia et San Sebastian, Ljubljana, Rome, Athlone en Irlande, le
Poste Parisien, Lyon, Toulouse et Juan-Les-Pins.
Roy Plomley, plus tard devenu célèbre avec son programme à
la BBC,
« Desert Island Discs », commence sa carrière
à la radio avec l’IBC en 1936. Il fait le premier programme
appelé « Radio Parade » à bord d’une
unité mobile (camion d’enregistrement). Ses premiers enregistrements
ont lieu chaque dimanche après-midi dans une salle de cinéma
à Kingston-upon-Thames et ils sont devenus si populaires que la
margarine Stork accepte de les sponsoriser. Initialement, l’IBC
possède deux camions d’enregistrement mais bientôt un
troisième véhicule vient rejoindre la flotte pour
développer le spectacle itinérant « Radio Normandy
calling ».
La photo de droite montre
l’arrière des studios de l’IBC, restés les
mêmes à ce jour
L’utilisation
de programmes enregistrés en plus des programmes en direct donne un
avantage supplémentaire par rapport à la BBC en terme de
flexibilité. La plupart des spectacles enregistrés par
l’IBC (qui durent 15 minutes) sont parfois retransmis par la BBC. Plomley doit organiser son
planning et changer les dates de diffusion. A plusieurs occasions, il peut
programmer un show quelques jours avant sa diffusion par la BBC.
Les
sessions de disques enregistrés sont populaires. En 1939, on rapporte
qu’à l’IBC, la “transcription électrique des
disques” se fait à la vitesse précise au tour près
de 77.9 tours/mn ou 33 tours/mn.
Sur
toute l’étendue du sud de l’Angleterre, on peut apercevoir
des camions d’enregistrement destinés à mesurer la force du
signal de « Radio Normandy ».
En
septembre 1939, l’idée de créer une « Radio
International » est planifiée par l’International
Broadcasting Company (IBC) pour diffuser en langue anglaise des programmes de
divertissement destinés aux forces armées basées en Europe
en utilisant les (anciennes) facilités de « Radio
Normandy » à Fécamp. Baptisée
« comme la radio de derrière les lignes », la
station serait sur les ondes de 7 h à 18 h 00. Les émissions
seraient enregistrées sans
messages publicitaires.
La
station de l’IBC à Fécamp recommence donc ses
émissions fin septembre – début octobre, jouant des disques
de musique légère ou musique de danse pendant la journée
jusqu’à 19 h 15. Tous les quarts d’heure, on entend le vieux
carillon de « Radio Normandy » suivi de
l’annonce « This
is the International Broadcasting Station, preparing a new
service ».
Incapables
de pouvoir se fournir en programmes depuis Londres ou de pouvoir en recevoir
une quantité suffisante, des enregistrements sont importés des
Etats-Unis. Bob D-Walker est nommé chef annonceur et lecteur
d’informations. Il n’y a pas de publicité à cause de
l’état de guerre. Seul le nom du sponsor est indiqué au
début et à la fin de l’enregistrement, probablement
ajouté au dernier moment à la station. En janvier 1940,
« Radio International » termine ses émissions et
l’IBC cesse son activité. Le dernier souffle de l’IBC prend
place au printemps 1940 quand le Poste Parisien et probablement la station de
Fécamp retransmettent pendant quelques samedis après-midi
« Le quart d’heure du Tommy » composé de
disques sans annonces. Bientôt les émetteurs doivent fermer en
France.
Toutes
les radios françaises après la défaite militaire sont
remplacées par une seule station « Radio Paris »
sous le joug allemand. A la libération, le Général de
Gaulle interdit la résurrection de la radio commerciale, sauf
« Radio Luxembourg » qui reprend ses émissions en
français.
A
la déclaration de la guerre le 3 septembre 1939, la BBC avait fermé son programme
national et ses programmes régionaux et leur avait substitué un
programme unique « Forces programme » consistant en
informations et disques. Bien plus tard, ceci a donné le
« Light » et aujourd’hui « Radio
2 ».
Quant
au Capitaine Plugge, il se serait retiré en Californie et est
décédé discrètement à 92 ans 1981. (à confirmer : dates différentes selon
les sources)
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